La recrue bidon
Ils débarquent à grands roulements de tambour, sont précédés par une réputation flatteuse et possèdent un CV de joueur long comme le bras…
Ils sont les recrues de l’année, les trouvailles inespérées du mercato, ceux qui font jaser dans les chaumières. Mais à l’arrivée, ils sont toujours ceux qui déçoivent.
Voyage au pays de la mythomanie…
Les recrues bidons sont de deux natures.
Il y a les anciennes gloires, ces joueurs au passé prestigieux qui, usés par une carrière éprouvante, chassent le gros chèque dans un petit club aussi naïf qu’ambitieux.
Puis il y a ces joueurs nomades, qui changent de clubs saison après saison parce que trop mauvais pour rester plus d’un an au même endroit pour ne pas se faire lyncher par les villageois.
Des joueurs de la catégorie "imposteur", complètement mythomanes qui se vendent à merveille à ceux qui veulent entendre et s’inventent de prodigieuses carrières…
La recrue bidon du premier type, l’ancienne gloire, suscite généralement l’enthousiasme au sein du club. Les dirigeants se la pètent en croyant avoir déniché le sauveur, plastronnent avec leur blazer étriqué autour des terrains en prenant des airs importants. Mais en réalité, ils prennent le messie pour une lanterne…
Celui-là, le messie, n’est en fait qu’un vieux prédicateur, un conteur fatigué qui essaient de faire rêver les jeunes de ses exploits anciens, du temps où il jouait au centre avec untel ou untel, du temps où il avait mis un tampon mémorable à celui-ci qui jouait en équipe de France, à celui-là qui venait d’être champion de France avec Toulouse.
Et puis, sans fin, dans le car qui nous emmène au stade de Belleville-sur-quequ’chose, nous raconte, en embellissant, sa guerre de 14.
Puis quand vient 14h dans les vestiaires et qu’on constate que le bougre est boudiné dans le maillot de son nouveau club, que sa brioche dépasse un peu, que ces gestes laborieux trahissent un corps qui tolère mal les avanies des joutes passées, alors on se dit, ou du moins souhaite, qu’il a au moins de l’expérience et du vice à revendre…
Bobards sous la douche Certes, on avait déjà remarqué, à l’entraînement, qu’il n’avait pas la fougue d’un jeune loup affamé, mais on se disait que c’était la force tranquille, qu’il allait tout donner en match et que là, on allait se rendre compte de l’étendue de sa classe, de son rayonnement.
Surtout qu'il jette de la poudre au yeux, en sortant de son sac d'entraînement des maillots d’équipes prestigieuses, des chaussettes de la Section, un short du Stade, un slip du B.O… tout un tas d’oripeaux qui ont chacun des histoires incroyables. Une garde-robe à faire rêver !
Finalement, on se retrouve à 16h30 sous les douches, avec une bonne valise dans les gencives. Notre héros ne nous a même pas fait le coup de l’Empire des Cent jours, il n’ a même pas brillé une dernière fois avant de disparaître. Jouant comme les autres, trop fatigué pour sonner la révolte, harcelé par des adversaires qui voulaient se farcir une ex-star, notre homme a baissé pavillon rapidement. Par contre dans les douches, il trouvera toujours, surtout si il joue devant, le moyen de sauver la face pathétiquement en racontant des bobards style : " le 4 je l’ai fait couiner, le 3 je l’ai plié dans un maul…".
Vers Castres…
La recrue bidon de deuxième catégorie est impressionnant par sa gouaille. Car pour se vendre à un club sans montrer sa valeur réelle sur le terrain, il faut en raconter des conneries, donc être un bon mythomane. Et là où il est très fort, c’est sur son label, son pedigree de joueur de haut-niveau fictif qu’il a appris à manier avec maestria.
Par exemple, il dit qu’il a joué à Castres.
Et puis en le voyant à l’œuvre, on se rend compte que c’était plutôt… vers Castres.
Parfois, il affirme avoir joué par exemple à Grenoble, dans le vrai club cette fois, c’est-à-dire au FCG, d’ailleurs il a un maillot certifié conforme.
Après une enquête rapide, on se rend compte qu’il a été licencié un an effectivement au FCG et qu’il a évolué en équipe 4 avant de se faire promouvoir, un dimanche d’épidémie, en équipe 2 pour un match amical où il a côtoyé un grand joueur qui se refaisait une cerise en réserve…
Amplifier le détail insignifiant, omettre l’essentiel, c’est la recette du leurre. Pour corser le tout, notre imposteur, qui sait abuser de la crédulité de son nouvel environnement, nous sort toujours pour se rendre crédible son carnet d’adresse où figurent des noms de légende avec qui il a sympathisé, le portable de X ou Y, des vieux potes qui font la java avec lui de temps en temps.
Au final, quand on découvre, très vite, la supercherie, le loustic a déjà un autre club en ligne de mire, en Belgique, en Islande ou en Corée où il est toujours plus facile de refiler sa camelote…
Prince d'Euphore
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